Introduction

Contexte

Suite à la première édition de notre campagne de dépistage, le DépistaFest, nous avons sondé notre communauté afin de savoir ce qui pourrait faciliter leur accès et leur expérience de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS). Parmi les facteurs facilitant le dépistage, l’accès à des services de dépistage inclusifs, respectueux et sécuritaires est ressorti. À la suite de l’analyse des réponses et de recherches dans la littérature, nous avons constaté qu’il existe actuellement des disparités d’accès aux services de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), alors que certaines personnes, en fonction de caractéristiques sociales et identitaires, éprouvent des difficultés à obtenir des services de dépistage sécuritaires, accessibles et respectueux. Notamment, il est question des personnes 2SLGBTQIA+, les personnes racisées et migrantes, les personnes en situation de handicap et/ou neurodivergentes, les personnes de la diversité corporelle (plus particulièrement les personnes grosses) et les personnes qui exercent le travail du sexe. Ces populations forment les populations clés de l’élaboration des pratiques présentées dans ce guide, puisqu’elles rencontrent diverses barrières au dépistage : 

  • les personnes des communautés 2SLGBTQIA+ évitent les services par anticipation ou par expérience vécue de stigmatisation et de micro-agressions dans le milieu médical et de santé sexuelle, ainsi que par l’anticipation de devoir éduquer leurs professionnels de la santé (Scruton, 2015; Wilkerson et al., 2011); 
  • En raison d’interactions grossophobes vécues ou anticipées, les personnes grosses tendent à éviter les situations de stress liées au poids, comme le milieu médical de la santé reproductive et du dépistage des ITSS (Gordon et al., 2016). Pourtant, plus d’une personne sur deux est considérée en surpoids au Canada (Statistiques Canada, 2018), et il y a donc une importance majeure à adresser l’inclusion et l’accessibilité au dépistage des ITSS pour les personnes dont le poids ne correspond pas aux standards de minceur; 
  • Plusieurs personnes en situation de handicap et/ou neurodivergentes ressentent qu’on les infantilise, qu’on les  réduit au statut de victimes potentielles et qu’on suppose qu’elles n’ont pas d’activités sexuelles ou n’en désirent pas, en raison de plusieurs préjugés et stéréotypes qui ont une influence sur les services de dépistage offerts. Elles se sentent souvent invalidées et ressentent une culpabilité à demander de l’aide, ce qui peut fortement les décourager d’utiliser des services comme le dépistage et les rendent plus à risque de contracter une ITSS (Brennand et Martino, 2022); 
  • Les expériences de racisme vécues ou anticipées sont parmi les plus grands obstacles à l’accès au dépistage, au traitement et au soutien en matière d’ITSS pour les personnes racisées et/ou migrantes, et celles-ci sont touchées de manière disproportionnée par les ITSS au Canada (Agence de santé publique du Canada, 2015). Elles ont plus difficilement accès au dépistage des ITSS à travers la discrimination sociale et culturelle, les barrières linguistiques et les préjugés de la part des prestataires de soins, mais aussi l’ethnocentrisme de nos croyances et de nos standards en termes de dépistage;
  • En raison du caractère interdit et secret de leur profession, les personnes qui exercent le travail du sexe évitent les cliniques de dépistage par anticipation de stigmatisation et de discrimination de la part du personnel de la clinique, ce qui les rend à risque d’avoir une ITSS non diagnostiquée et d’encourir des complications pour leur santé (INSPQ, 2013).  

Pourquoi (un guide sur) des bonnes pratiques pour un dépistage inclusif?

Aller se faire dépister peut être synonyme de stress, d’anticipation et de micro-agressions pour certaines personnes, en particulier nos populations clés. Celles-ci évitent, retardent ou annulent un rendez-vous de dépistage pour ne pas vivre une situation d’inconfort, ce qui peut augmenter les risques d’avoir une ITSS non diagnostiquée et des complications pour la santé sexuelle et reproductive. 

À l’inverse, offrir un espace confortable et non stigmatisant favorise l’utilisation des services de santé, comme le dépistage, et une attitude de prévention face à sa santé sexuelle, versus attendre au dernier moment ou l’apparition de symptômes pour se faire dépister (CPHA, 2017). Les pratiques inclusives sont aussi essentielles pour favoriser la prise de décision sécuritaire et l’émancipation dans la santé sexuelle, en diminuant les barrières au dépistage et en offrant un espace sécuritaire pour que les personnes posent leur questions et répondent aussi avec transparence aux questions essentielles à la prescription des bons tests à administrer (CPHA, 2017). Adopter des pratiques inclusives peut permettre de limiter les comportements d’évitement, d’annulation ou de report de rendez-vous de dépistage et est en accord avec la version 2019 du Guide québécois de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang  du Ministère de la santé et des services sociaux du Québec, qui stipule qu’il est de la responsabilité des prestataires de soins de mettre en place des pratiques qui favorisent l’accès au dépistage pour tout le monde.

Le manque d’accès à des soins de santé sexuelle sécuritaires, inclusifs et sans jugements pose un risque supplémentaire d’avoir une ITSS non diagnostiquée (CPHA, 2027), ce qui augmente à son tour les risques de propagation et qui consiste, selon nous, en un enjeu de santé publique. C’est pourquoi nous avons décidé d’entreprendre la création d’un guide de bonnes pratiques pour un dépistage des ITSS inclusif. L’adoption de pratiques inclusives dans les services de dépistage s’impose comme manière de faciliter l’accès au dépistage pour tout le monde et collectivement intervenir sur la prévention de la transmission des ITSS. Adopter des pratiques inclusives dans le dépistage des ITSS permet :

  • de réduire les inégalités et les barrières d’accès aux services;
  • de maximiser la capacité de tout individu à se faire dépister en offrant un espace sécuritaire, de confiance et sans jugements;
  • de mettre en place des environnements physiques et sociaux qui répondent aux besoins de tout le monde;
  • de s’assurer que toute personne qui le souhaite ait les mêmes opportunités face à sa santé sexuelle.

De plus, les enjeux de normes et d’inclusion ne sont pas toujours abordés dans les formations spécifiques au dépistage des ITSS, ce qui peut pousser à croire que ces populations clés ne représentent qu’une petite partie de la patientèle, et à ne pas connaître les enjeux d’accès au dépistage qui leur sont propres. En réalité, l’invisibilisation des réalités et le manque d’accessibilité et d’espaces sécuritaires pour aborder son expérience contribuent à créer l’illusion que ces personnes ne fréquentent pas ou moins les services et que leurs réalités ou besoins particuliers sont rares, et donc à les négliger. Devant la porosité de ressources spécifiques pour accompagner l’adoption de pratiques inclusives dans les procédures de dépistage des ITSS, nous avons réalisé ce Guide de bonnes pratiques pour un dépistage des ITSS inclusif. 

Ce guide s’insère dans une démarche d’apprentissage et d’humilité; le Club Sexu et ses partenaires ne visent pas à réprimander, mais bien à offrir des outils réflexifs pour améliorer notre compréhension et notre mise en application de pratiques inclusives dans nos services de dépistage. De même, nous croyons que l’inclusion évolue au fil des avancées sociales et nous souhaitons que cette ressource forme un document vivant qui puisse être constamment renouvelé. Ainsi, si vous avez des suggestions, des commentaires constructifs ou des pistes de réflexions pour l’amélioration de ce guide, nous vous invitons à nous contacter à l’adresse suivante : 

Objectifs de ce guide

Ce guide vise ainsi à :

  • réfléchir à l’importance d’adopter des pratiques inclusives de dépistage des ITSS;
  • repenser les pratiques de dépistage des ITSS potentiellement non inclusives;
  • stimuler la réflexion sur les attitudes, les propos, les aménagements et les comportements qui peuvent constituer des barrières au dépistage des ITSS pour certaines personnes; 
  • identifier et mettre de l’avant les forces et les pratiques inclusives déjà mises en place;
  • fournir des pistes d’amélioration et des exemples concrets de pratiques inclusives à adopter dans le dépistage des ITSS;
  • proposer des ressources pour assurer la formation continue.

À qui s’adresse ce guide 

Notre guide s’adresse à tout le personnel de la clinique ou du milieu de dépistage, soit le personnel soignant, le personnel de service à la clientèle et le personnel de gestion. Pour vous aider à cibler le contenu en fonction de vos interventions auprès de la patientèle, la section des recommandations en matière de pratiques inclusives a été découpée de sorte à faciliter la lecture selon le rôle de chaque personne :

  • Une section ciblant des réflexions à avoir pour instaurer des pratiques inclusives dans votre milieu;
  • Une section « avant le rendez-vous » qui peut concerner l’accueil des personnes, les formulaires de collectes de données sociodémographiques, les besoins en accessibilité et l’aménagement des lieux;
  • Une section « pendant le rendez-vous » concernant plus précisément les questionnaires servant au dépistage des ITSS et les interventions durant le dépistage des ITSS; 
  • Une section « après le rendez-vous » concernant les médias sociaux, la publicisation de vos efforts d’inclusion et la formation continue;
  • Une section concernant les erreurs possibles et comment les rattraper.

La dernière section du guide concerne des spécificités pour chaque population clé, ainsi que des ressources communautaires et des lectures proposées pour aller plus loin. 

Philosophie derrière ce guide 

Cadre théorique intersectionnel

La théorie de l’intersectionnalité vise à comprendre comment les identités sociales d’une personne, comme son genre, sa classe sociale, son âge, sa race/ou son appartenance ethnoculturelle, la couleur de sa peau, sa façon de parler, sa religion, son orientation sexuelle, son handicap visible ou non, etc; interagissent pour forger son expérience (Bowleg, 2012; Collins, 2000). Le terme intersectionnalité a été élaboré par Kimberlé Crenshaw en 1989, pour aborder l’oppression particulière vécue par les femmes noires, mais est aujourd’hui repris par plusieurs auteur·rice·s pour comprendre les imbrications d’une diversité d’identités (Crenshaw, 1989).

Le positionnement d’une personne à l’intersection de ces différentes identités sociales reflète les systèmes interdépendants de privilèges et d’oppressions (Bowleg, 2012). Parmi les systèmes d’oppression, on retrouve notamment le racisme, le capacitisme, le cishétérosexisme et la grossophobie qui vous sont détaillés plus bas. L’intersectionnalité nous informe aussi que les oppressions liées aux identités sociales des personnes ne doivent pas être comprises en accumulation, mais doivent être considérées dans leurs intersections particulières, soit comment elles se croisent et se modulent pour forger des expériences singulières. Cette théorie est utile pour conceptualiser la multitude d’identités qu’une personne peut porter et qui la rendent complexe, et non pas isoler chaque aspect de son identité et la réduire à cet aspect. 

Les systèmes d’oppression et de privilèges créent des inégalités sociales et des discriminations dans l’expérience de la personne, et notamment dans son accès aux soins de santé. Le positionnement social particulier d’une personne forge ainsi son expérience, mais également son accès à des services de santé, comme le dépistage des ITSS. L’intersectionnalité est donc pertinente pour comprendre comment les facteurs structurels s’entrecroisent pour produire des effets particuliers sur la santé des individus (INSPQ, 2015). 

Ainsi, dans une démarche d’inclusion incluant une perspective intersectionnelle, cela signifie qu’on ne peut pas découper les pratiques inclusives pour chaque identité que la personne porte, mais bien considérer la patientèle dans sa complexité. Notre guide reconnaît donc qu’il existe des enjeux de pouvoir ayant un impact sur la santé sexuelle des individus (INSPQ, 2015). Notre guide reconnaît que les normes présentes dans la société produisent des hiérarchies qui positionnent certaines personnes comme marginales et minoritaires, ce qui peut engendrer des inégalités au quotidien et dans notre pratique des soins. Notre guide reconnaît également qu’une personne peut se situer à l’intersection de plusieurs catégories sociales et en vivre les oppressions, et que chaque identité doit être considérée comme potentiellement en interaction avec d’autres. Ce n’est pas une équation d’addition ou de soustraction des oppressions et des privilèges, mais plutôt une interaction et intégration de ces différentes identités sociales que chaque personne porte.

C’est pourquoi les pratiques inclusives sont à appliquer préalablement et systématiquement, et non en réponse aux caractéristiques qu’on croit percevoir chez une personne. C’est aussi pourquoi la mise en place de plusieurs pratiques tente d’adresser les difficultés d’accès une multitude de réalités et de vécus. Nous encourageons donc l’utilisation d’une approche centrée sur la personne, qui prend en compte les circonstances, les expériences, les besoins, les objectifs et les valeurs d’une personne pour s’assurer qu’elle est traitée avec dignité et respect (Agence de santé publique du Canada, 2021).

Racisme

Système d’oppression basé sur l’idéologie qu’il existe des hiérarchies entre les groupes humains, catégorisés en « races ». Le racisme structure nos sociétés en privilégiant les membres de certains groupes au détriment d’autres groupes, à travers des attitudes, préjugés, comportements et structures mises en place. Le racisme donne place à des oppressions, mais aussi à de l’ethnocentrisme, soit la croyance que notre groupe ethnoculturel est la norme universelle et le cadre de référence. L’ethnocentrisme pose problème lorsqu’il impose systématiquement une norme culturelle au détriment d’autres groupes culturels qui sont invisibilisés ou stigmatisés pour déroger de cette norme. 

Cishétérosexisme

Le cishétérosexisme est l’imbrication de l’hétérosexisme et du cisexisme. L’hétérosexisme est la croyance que les personnes hétérosexuelles sont la norme valide, primaire, et à privilégier. La cisexisme, près de l’hétérosexisme, est la croyance que les personnes cisgenres, dont le sexe assigné à la naissance concorde à leur genre, sont la norme valide et la manière d’être appropriée de vivre son genre. On assume donc qu’une personne est hétérosexuelle et cisgenre jusqu’à preuve du contraire. Cela est problématique en contexte de dépistage des ITSS, car on ne peut pas présumer des organes génitaux de la personne devant nous et de ses pratiques sexuelles en raison de son apparence ou de son identité sexuelle et de genre. De même, il est important de ne pas présumer qu’une personne ait plus de partenaires ou des pratiques sexuelles plus à risque en fonction de son orientation sexuelle. 

Capacitisme

Un système discriminatoire qui structure la société selon la capacité des individus à y participer, en fonction de leurs capacités physiques, physiologiques, psychologiques ou neurologiques qui influencent les aptitudes à participer à la société. Ce système crée une dualité entre validité et invalidité, et positionne les personnes sans handicap comme la norme valide, et conséquemment les personnes en situation de handicap comme norme invalide. Le capacitisme regroupe les attitudes et les pratiques discriminatoires, les préjugés et les stéréotypes à l’égard des personnes en situation de handicap, ainsi que les barrières physiques dans l’environnement. Il peut s’exercer de manière consciente et/ou inconsciente. 

Grossophobie

Ensemble des attitudes, préjugés et comportements qui discriminent et stigmatisent les personnes grosses, en surpoids ou obèses. La grossophobie se manifeste souvent par la croyance que les corps gros doivent être disciplinés et corrigés, et qu’ils sont un fardeau pour la société. La grossophobie est souvent justifiée par les préoccupations pour la santé, le maintien d’un poids mince et l’impact présumé du poids de la personne sur sa vie et sa sexualité.  

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